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Les enfants n’auront jamais assez de livres
Récemment, le ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, y est allé d’une déclaration « maladroite ».
« Il n’y a pas un enfant qui va mourir de ça et qui va s’empêcher de lire, parce qu’il existe déjà des livres [dans les bibliothèques] » a-t-il déclaré au Devoir.
Dernièrement, il est revenu sur ses propos.
Mais le mal est fait. L’homme qui est censé prendre soin de l’éducation de nos jeunes a minimisé l’importance de l’accès aux livres. À des œuvres variées, éducatives, ludiques… et à jour.
Dans Le Devoir, monsieur Bolduc a dit « Nos bibliothèques sont déjà bien équipées. […] Va dans les écoles, des livres, il y en a, et en passant, les livres ont été achetés l’an passé, il y a 2 ans, ou 20 ans. »
Je n’ai pas visité beaucoup de bibliothèques scolaires ces derniers temps. Mais d’après ce que j’ai pu constater, de mes propres yeux ou en discutant avec des amis du milieu, ce n’est pas le paradis. C’était déjà assez peu garni pendant mon primaire, un peu plus lors de mon secondaire…
Et justement, quand monsieur Bolduc parle de livres achetés il y a 20 ans… Sait-il que depuis, on ne parle plus de l’URSS? Qu’il y a eu une première ministre au Québec, un président noir aux États-Unis? Que même au niveau de la littérature jeunesse, certaines thématiques et expressions ont changé? Mes enfants accrocheraient-ils aux mêmes bouquins que les jeunes de mon époque? Je ne veux pas dire de brûler ce qui se faisait et il ne faut pas négliger les grands classiques littéraires. Mais une bibliothèque, comme une société, se doit d’évoluer, de grandir…
C’est vrai, jusqu’à preuve du contraire, personne n’est mort de ne pas avoir lu des livres.
Mais combien d’esprits se sont nourris, développés, en lisant? Combien de préjugés sont tombés, combien de jeunes ont eu envie de voyager, d’inventer, d’apprendre, de suivre leurs rêves, etc. en dévorant des romans, des biographies? Sans compter que la lecture contribue grandement à l’acquisition d’une bonne orthographe…
Vous me direz qu’il y a Internet, les livres numériques. Que ce n’est plus comme avant. D’accord. Mais pour moi, rien ne remplacera le papier. Rien ne remplacera ces moments à parcourir les rayons d’une bibliothèque ou d’une librairie. Les odeurs de neuf et de vieux, les textures de papier, les couvertures. L’atmosphère, les bruits feutrés de l’endroit. D’ailleurs, j’ai récemment lu un article au sujet d’une étude sur le papier VS le numérique. Je ne le retrouve pas, mais on y expliquait que les gens retiennent mieux ce qui est lu dans un « vrai » livre…
Je sais, les parents doivent contribuer. J’ai eu la chance de grandir avec des parents grands lecteurs et des livres à profusion malgré notre peu de moyens financiers. Mais tous les parents n’ont pas ce réflexe de transmettre l’amour de la lecture à leur progéniture ou ne peuvent acheter des livres ou fréquenter une bibliothèque municipale.
Alors il reste l’école. Pour ma part, à la quantité de livres que je dévorais, heureusement qu’il y a eu l’école.
En bonus, il y a eu la bibliothécaire. Est-ce que ça existe encore dans chaque école? On m’a dit que non. Mon fils n’en avait pas l’an passé, en tout cas.
À ma polyvalente, la bibliothécaire se nommait Esther. Une grande blonde un peu intimidante de prime abord. Qui rapidement, a repéré mon intérêt pour la littérature et m’a partagé des coups de cœur. Car ce qui est chouette avant ou après la lecture d’un bouquin, c’est de pouvoir en discuter avec des gens passionnés. J’ai eu cette chance.
La bibliothèque scolaire m’a aussi donné l’opportunité d’ouvrir des livres que je n’aurais pas eus à la maison. Je me souviens, j’avais une quinzaine d’années… La littérature jeunesse était beaucoup moins généreuse qu’aujourd’hui et ça faisait bien longtemps que je lisais des romans pour adultes. Un matin, je suis tombée sur « J’ai besoin de personne » de Reynald Cantin. En lisant la présentation qu’on faisait de l’auteur « enseignant au secondaire, qui connait bien les adolescents, etc. », l’ado que j’étais s’est dit « Bon! Encore un qui pense qu’il sait ce qu’on vit! » Et j’ai emprunté le livre, afin de confirmer mon préjugé de jeune qui se la jouait cynique.
J’ai été happée par le livre.
Une fois dans ma vie, j’ai écrit une lettre à une « personnalité ». C’était monsieur Cantin. Pour lui avouer ma réaction première et pour le remercier pour son histoire.
Monsieur Cantin m’a répondu, à la main. J’ai conservé sa lettre pendant des années, avant de la perdre dans un déménagement. Je me souviens qu’il m’avait écrit « Si un jour on me dit que les jeunes ne savent plus lire au Québec, je dirai que je connais quelqu’un à… » Et qu’il me disait aussi qu’un jour, on se croiserait peut-être chez Québec Amérique, lorsque j’aurais publié mes livres. (D’accord, je n’ai pas publié encore, mais il m’a encouragée et c’est précieux!)
Je vous raconte cette tranche de vie parce que j’aimerais que les messieurs Bolduc de ce monde réalisent qu’un livre, dans une bibliothèque, ça peut faire son effet des années durant.
Ne pas le lire ne tue pas personne. Mais le lire empêche certains espoirs de mourir…
Et honnêtement, si je repense à mes cours d’histoire et de géographie, la littérature m’a permis de ne pas sortir de l’école totalement inculte en ces matières. J’ai en effet beaucoup plus appris en lisant des romans historiques et même, théologiques, que sur les bancs d’écoles…
Maintenant, il ne me reste qu’à souhaiter que monsieur Bolduc et ses émules ne coupent pas dans les cours dont l’abolition ne fera mourir personne. La philosophie? L’art? L’économie? L’anglais?
Dans le fond, se serait plus simple et économique de retourner à l’époque pré Charlemagne*. Allons travailler aux champs, laissons le pouvoir à une poignée d’individus ayant accès aux livres.
Personne n’en mourra.
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