• La ritaline utile pour le réveil après une anesthésie ?

    Vos patients ont peut-être lu cette semaine dans la presse un article consacré à l’anesthésie : ‘ La ritaline utile pour le réveil après une anesthésie[1]. Le journaliste rapporte et commente un article à paraître dans le numéro de mai de la revue Anesthesiology[2]. Il s’agit d’une étude expérimentale réalisée par l’équipe du Massachusetts General Hospital à Boston visant à évaluer les capacités du methylphenidate à réveiller activement des rats anesthésiés par propofol. Un travail publié en 2011 par la même équipe avait montré que le methylphenidate accélérait (x3) le réveil après anesthésie des rats par isoflurane[3]. Ici, deux protocoles expérimentaux ont été conduits avec l’administration d’une dose (5mg/kg IV) de methylphenidate : soit 45 s après un bolus unique de propofol, soit au cours d’une administration à objectif de concentration de propofol, 20 min après perfusion stable à la concentration cible (Cc) efficace, obtenue par titration, pour empêcher tout mouvement.

    Après un bolus de propofol, le methylphenidate raccourcit significativement le délai médian de réveil : de 735 s (95% CI: 598–897 s) à 448 s (95% CI: 371–495 s) (P=0.0051). Tout en poursuivant la perfusion de propofol à la Cc efficace (médiane Cc 4 µg/ml), l’injection de methylphenidate provoque un réveil rapide chez tous les rats, avec une capacité à se redresser en 82 s (95% CI: 30–166). Ce réveil provoqué s’accompagne à l’électroencéphalogramme d’un déplacement des ondes lentes delta vers des ondes rapides thêta et bêta.

    L’article de presse soulignait l’intérêt éventuel chez l’homme de cette molécule en particulier dans les cas de sédation prolongée ou trop profonde par propofol. Ce point doit être relativisé. Le methylphenidate est un médicament commercialisé en France depuis 1995 et 4 spécialités sont autorisées (Ritaline®, Concerta®, Quasym®, Méthylphénidate Rubio®) ; son AMM est très stricte et concerne uniquement le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH) chez l'enfant de plus de 6 ans, lorsque des mesures correctives seules s'avèrent insuffisantes. Il s’agit d’un psychostimulant, sympathomimétique d'action centrale, proche de l’amphétamine, avec de nombreux effets indésirables, cardiaques, neurologiques, psychiatriques en particulier, et dont l’utilisation chez l’enfant reste controversée.

    En revanche, cette étude expérimentale permet de comprendre un peu mieux les mécanismes mis en jeu au cours de l’anesthésie et lors du réveil postanesthésique. On a longtemps imaginé que le réveil après une anesthésie était un phénomène passif lié à la diminution des concentrations cérébrales de l’agent anesthésique à l’arrêt de son administration. Comme le souligne l’éditorial[4] qui accompagne la publication, cette étude confirme que le réveil n’est pas simplement le phénomène inverse de l’induction anesthésique mais qu’il met en jeu des voies activatrices capables d’antagoniser les effets des agents anesthésiques. Les effets activateurs du methylphenidate sont expliqués par une augmentation des concentrations corticales de dopamine et probablement une mise en jeu de voies noradrénergiques. L’induction d’un réveil sous anesthésie a déjà été rapportée avec d’autres agents comme la physostigmine, l’histamine, les agonistes nicotiniques ou la noradrénaline. Tous ces agents pourraient agir en renforçant l’action des neuromodulateurs physiologiques impliqués dans la phase de réveil au cours du sommeil naturel.

    En schématisant, l’état de conscience nécessite à la fois des influx activateurs en provenance des structures sous-corticales et du tronc cérébral mais aussi une réponse corticale normale. Le methylphenidate agit en renforçant les courants neuronaux activateurs et peut contrebalancer les effets hypnotiques du propofol. Cet effet n’est cependant observé, comme dans le cas d’une stimulation douloureuse, que pour des doses modérés d’hypnotique. A dose plus élevée, les effets inhibiteurs du propofol sont trop puissants et ne peuvent être dépassés.

    Si on est encore loin d’une éventuelle application clinique pour le methylphenidate en anesthésie ou en réanimation, la compréhension des mécanismes intimes de l’anesthésie continue de progresser grâce à de tels travaux.

    F. Sztark
    CHU de Bordeaux, Université Bordeaux Segalen, INSERM U1034
    francois.sztark@chu-bordeaux.fr


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