• Autisme : nouvelle piste avec la découverte d'un défaut d'"élagage" des synapses

    Stéphanie Lavaud

    New York, Etats-Unis – Une équipe américaine vient probablement de marquer des points dans le décryptage des causes des troubles autistiques. David Sulzer et ses collègues (Centre Médical de l’Université de Columbia) ont en effet montré que le cerveau des enfants et adolescents souffrant d’autisme comporte beaucoup plus de synapses que celui des non autistes en raison d’un défaut d’élagage synaptique qui intervient, en temps normal, au cours du développement [1].

    Ce défaut apparait lié à la surproduction d’une protéine-clé appelée mTOR. Chez la souris, les chercheurs ont pu démontrer que l’immunodépresseur sirolimus, un inhibiteur de mTOR, restaure une élimination synaptique normale et améliore les symptômes autistiques. Doté de nombreux effets secondaires, la molécule ne pourra pas être utilisée en l’état chez l’homme, mais fournit une intéressante piste de recherche. Ces travaux ont été publiés dans la revue Neuron [1].

    Analyse post-mortem

    Au cours du développement cérébral normal, se produit une poussée de croissance de synapses pendant l’enfance, en particulier dans le cortex, une région impliquée dans les comportements autistiques, puis un élagage intervient qui élimine près de la moitié de ces synapses corticales jusqu’à la fin de l’adolescence. Comme de nombreux gènes retrouvés dans l’autisme sont en rapport avec le fonctionnement synaptique, l’hypothèse a été faite d’un excès synaptique dans la pathologie autistique. Pour tester cette théorie, Guomei Tang de l’équipe du Dr Sulzer, a mesuré la densité synaptique de cerveaux d’enfants souffrants d’autisme décédés d’une autre cause. Treize cerveaux émanaient d’enfants âgés de 2 à 13 ans, 13 autres d’adolescents âgés de 13 à 20 ans (avec uniquement des garçons dans cette dernière tranche d’âge pour s’affranchir du facteur hormonal). Vingt-deux cerveaux de jeunes non autistes ont servi de comparateur.

    La chercheuse s’est intéressée à la couche V de neurones pyramidaux du lobe médio-temporal supérieur, une région impliquée dans les désordres autistiques en raison de sa participation dans les réseaux neuronaux impliqués dans les processus sociaux et de communication. Elle a trouvé que, pendant la première et la deuxième décennie, la densité des épines dendritiques avait chuté d’environ 41% dans les cerveaux contrôle contre seulement 16% dans le cerveau des patients autistes, démontrant un net défaut d’élimination des synapses surnuméraires, en particulier pendant l’adolescence. « C’est la première fois que quelqu’un cherche et voit ce défaut d’élagage » a commenté le Dr Sulzer dans un communiqué du CUMC [2]. Dans l’article, les auteurs précisent ne s’être intéressés qu’à une seule région cérébrale, celle qui constitue le nœud central des interconnexions du cerveau social, mais que l’on peut imaginer que d’autres zones soient, elles aussi, concernées par ce déficit.

    Traitement potentiel ?

     
    Alors que l’on pense habituellement que l’apprentissage est lié à l’acquisition de nouvelles synapses, il se pourrait que l’élimination de synapses inappropriées soit tout aussi importante -Dr DavidSulzer
     

    L’étape suivante a consisté à rechercher des causes, ou tout du moins des indices, à cette anomalie. Les chercheurs ont, là encore, trouvé une piste dans les cerveaux des patients décédés. Il s’agit d’un déficit d’une voie de dégradation qui, en temps normal, entraine une mort cellulaire des neurones. Cette « autophagie » cérébrale est à l’origine de l’élagage synaptique. Elle est médiée par une voie de signalisation impliquant la protéine mTOR.

    A l’aide d’un modèle animal de souris mutées développant des symptômes pseudo-autistiques, les chercheurs ont vérifié – avec succès - la validité de leur hypothèse. Ils ont montré que lorsque la protéine mTOR est surexprimée et très active, les neurones perdent leur capacité d’autophagie : et, dans leur expérience, les cerveaux murins étaient effectivement peu « élagués » et les synapses surabondantes. « Alors que l’on pense habituellement que l’apprentissage est lié à l’acquisition de nouvelles synapses, il se pourrait que l’élimination de synapses inappropriées soit tout aussi importante, commente le Dr Sulzer.

    Enfin, dernier aspect, et non des moindres de cette publication décidément très complète, le sirolimus (aussi appelé rapamycine), un immunosuppresseur utilisé dans les transplantations et qui a pour effet d’inhiber la protéine mTOR, a restauré le processus normal de mort cellulaire et l’élagage synaptique. Administré aux souris, il a permis de supprimer les symptômes de type autistique après qu’elles les aient développés. On retrouve la même suractivité de la protéine mTOR dans le cerveau des patients autistes, il serait donc possible que le même phénomène y soit présent, et que le même type de traitement ait un effet bénéfique.

    « L’utilisation du sirolimus chez l’homme est exclue en raison de ses nombreux effets secondaires, en revanche, un médicament agissant en aval sur l’autophagie est à envisager » a expliqué le Dr Sulzer, à l’édition internationale de Medscape Medical News.

    Optimisme prudent

    « Ce qu’il y a de plus remarquable dans ces résultats, c’est que des centaines de gènes ont été découverts en lien avec l’autisme. Dans le même temps, presque tous les sujets humains de l’étude présentent cette suractivité de la protéine mTOR et ce défaut d’autophagie, ainsi qu’un élagage synaptique altéré. Cela implique que tous ces gènes, ou du moins la majorité d’entre eux, convergent vers cette voie de régulation (mTOR/autophagie). En bloquant l’élagage normal des synapses qui sous-tend peut-être un apprentissage comportemental approprié, ces mécanismes cellulaires sont possiblement le point de convergence des différents traits de l’autisme ».

    « En résumé, nous avons trouvé que de nombreux cerveaux de patients souffrant de troubles autistiques présentent à la fois un déficit de la voie de signalisation médiée par la protéine mTOR et un défaut synaptique durant la période de l’enfance et de l’adolescence, suggérant que la voie mTOR puisse être un mécanisme commun, impliqué dans la pathologie synaptique du spectre des troubles autistiques. Nous avons, en outre, montré que les comportements autistiques et les défauts synaptiques sont dus à une altération de la voie mTOR au travers de l’inhibition de l’autophagie requise pour un élagage synaptique normal au cours du développement. Les résultats indiquent un lien direct entre l’autophagie médiée par mTOR et l’élagage des connections synaptiques pendant le développement post-natal et suggèrent que cibler l’autophagie neuronale pourrait entrainer un bénéfice thérapeutique. »

    Le Dr Sulzer reste néanmoins prudent et affirme à Medscape Medical News qu’aussi intéressants que soient les résultats qu’il a obtenu, ils « ne décrivent pas l’ensemble du phénomène. Je ne pense pas que l’élagage synaptique résume à lui seul le problème et qu’il s’applique à tous les patients présentant des troubles autistiques. Il y aura certainement d’autres aspects très importants à considérer, mais c’est néanmoins un point convergent de ce trouble. »

    Contribution intéressante

    Le fait que l’autisme soit le résultat d’erreurs de « câblage » durant le développement du cerveau et fasse intervenir des gènes synaptiques est apparue assez clairement au cours des dernières années. En revanche, la question de savoir si le spectre des troubles autistiques était dû à trop ou pas assez de connections restait posée. Ces travaux et d’autres, notamment dans le domaine de l’imagerie, sont plutôt en faveur d’une profusion.

    Ce travail a reçu un bon accueil de la neurobiologiste Judy Willis, basée à Santa Barbara. Interrogée par Medscape Medical News, elle considère que l’étude, qui implique une surproduction de mTOR, apporte une contribution valable sur les causes qui sous-tendent l’autisme. Interrogée par le New York Times, la neuroscientifique, Kimberly Huber (Université du Texas), s’est montrée, quant à elle, très enthousiaste qualifiant l’étude de très prometteuse [3].

     


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